PRESS-BOOK 1893

Publié le par LAURENCE NOYER

Adolphe Badin : La Nouvelle Revue, 1er juillet 1893 « La Lanterne Sourde » « Une série de petits croquis assez vigoureux, dans leur sobriété, mais pas toujours d’un intérêt puissant. »

Alcide Guérin : La Plume, 15 juillet 1893 « La Lanterne Sourde » « On ne peut pas toujours, d’une forte et méprisante plume, bafouer les gens et vilipender les choses. A ce très redoutable jeu, les mieux doués se fatiguent et il arrive vite que le lecteur, saturé de violence, demande d’autres distractions. Jules Renard sait bien cela. Aussi, nous offre-t-il aujourd’hui, après Sourires pincés, après l’Ecornifleur, après Coquecigrues, œuvres cruelles, un petit livre d’ironie souriante, de bonne humeur et de paix. Cela se nomme avec grâce, cette « lanterne » éclaire des choses très diverses : des ridicules, des égoïsmes, d’exquises ingénuités, des vilenies. Une quarantaine environ de brèves histoires écrites dans la claire et solide langue familière à Renard ; des tableaux grands comme la main et la plupart vivants comme la vie : voilà le volume ; et il est ainsi de l’agrément le plus rare. Tout au plus y a-t-il un ou deux de ces récits que j’eusse voulu, moi, retrancher. Je n’ai point de goût, par exemple, pour l’Age sans pitié, qui me paraît d’une ironie bien facile et d’un effet vraiment trop sûr. Mais en revanche, combien j’aime le Chercheur d’or, Petites manœuvres, le Geste du semeur, La gerbe… Pour être équitable, il faudrait de ce délicieux livre citer à peu près tout. Donc, sans nous faire prier, complimentons l’auteur. Mais qu’il ne croie pas, tout de même, parce que ses amis sont contents, en avoir fini avec eux. Nous voulons beaucoup mieux que la Lanterne sourde. L’Ecornifleur nous a rendus exigeants. Nous savons très bien que ce que nous pouvons espérer de Renard. Et parce que, justement sa force nous est connue, nous attendons de lui, nous réclamons énergiquement l’œuvre qu’il ne nous a pas donnée encore – et qu’il nous doit. »

Tristan Bernard : Mercure de France, aout 1893 « La Lanterne Sourde » « A moins que – par une évolution naturelle – la critique de l’Avenir cesse de croire à l’évolution des genres, ils diront, les Brunetières futurs, comment Jules Renard, après avoir profité de la grande médication naturaliste et du retour au sincère, sut contribuer à rétablir dans les lettres françaises le bon goût et l’esprit, qui les avaient désertées. Vers l’an 1880, la littérature était heureuse. Autour du chef Zola s’était groupée dans une légion d’hommes simples, recrutés aisément dans la génération qui s’était formée à l’heure de nos désastres. Leur cœur, pour avoir battu à l’unisson du grand cœur de la patrie, fut affranchi des douleurs spéciales par le deuil universel. Ils se trouvèrent garantis de l’isolement nécessaire et ne connurent point la féconde ironie. Le hasard permit que parmi ces gars certains écrivains subtils s’égarèrent (quand nous aurons cité Huysmans…) ce fut le beau temps des taches claires, des gestes larges et des imparfaits de l’indicatif. Et se divulgua le sport – un moment populaire – de la chasse aux documents humains. Peu à peu cependant, et la Tour Eiffel ayant été comparée par Lord Lytton à un chandelier, par le shah de Perse à une cafetière, on acquit la conviction – pour une bonne vingtaine d’années – que les choses n’avaient décidément pas d’aspect officiel. Et l’on toléra que le tempérament des écrivains interposé entre la nature et nous, ne ressemblât pas toujours à un verre à vitre (plus ou moins bien lavé). On prit plaisir à des interprétations intéressantes de la réalité. Le temps des ironistes était venu. Un bon livre sur l’Ironie débuterait par un parallèle agréablement balancé entre l’Ironie et l’Humour. Il y a du préconçu dans l’Ironie, et non dans l’Humour. L’Humour se classe exclusivement dans les façons d’interpréter l’Ironie dans la catégorie plus large des façons de voir. D’autre part, l’Humour n’est pas comme est l’Ironie, forcément malicieux. Un second chapitre s’intitulerait : Comment on devient ironiste. Pour malicieuse qu’elle soit, l’Ironie n’est pas un produit de la méchanceté, mais plutôt de la vanité. Méchant, l’Ironiste l’est si peu qu’il arrive à se railler lui-même.et cette manière de cynisme est encore une des plus claires manifestations de la vanité. L’Ironiste commence par mépriser son prochain, sans le détester assez pour l’humilier de son dédain. On devient ironiste par vengeance, pour compenser intimement le manque d’attention d’autrui. J’en appelle aux jeunes hommes de 14 à 18 ans qui, délaissés, s’isolèrent dans un coin de bal, et jugèrent de haut les valseuses, les valseurs et l’humanité. Plus tard, il est loisible à l’ironiste de mettre au service d’autres causes le tour d’esprit que sa vanité blessée lui fit acquérir. Puisque j’ai démontré plus haut de mon mieux aux partisans de la critique impersonnelle que Jules Renard est venu à son heure, et qu’on peut l’admirer sans remords, j’ai acquis le droit, ce me semble, de dire maintenant tout simplement le plaisir que m’a procuré la Lanterne Sourde. Renard n’a plus de valables raisons d’être aigri. Il est ironiste artistement désormais, et la Lanterne Sourde, c’est du Jules Renard pour le Jules Renard. La pitié pour les faibles, lue si clairement dans Poil de Carotte, ne nous émeut plus guère dans la Lanterne Sourde. C’est maintenant, chez Renard, au tour de sa bonté naturelle de surveiller son ironie. Si l’on retrouve parfois (dans le Christ puni, dans la Gerbe, dans le Vieux dans sa vigne) de la pitié et de l’amour pour la créature, c’est que l’auteur est un homme avisé et sait choisir ses sujets d’ironie. Dans les histoires d’Eloi, le snobisme du littérateur est surpris dans ses manifestations plus insaisissables. (Il faut entendre pas snobisme le souci de l’attitude substitué à celui de la sincérité). Et comme il sait démêler avec perspicacité ce qu’il y a de spontané dans un écrivain d’avec les formules de sentiments qu’il reçoit sans les contrôler de son entourage intellectuel ! Et quelle curieuse perversion littéraire dans la Neige et dans Le Geste du semeur ! »

Henri Mazel : L’Ermitage, aout 1893 « La Lanterne Sourde » « Quel volume de Jules Renard pourrait n’être pas savoureux ? Il y a dans ces 134 paginettes plus d’esprit et plus de dessous que dans bien des volumes étincelants, ou qui font penser. La Baguette, Le Poing de Dieu, le Bouton, sont des chefs-d’œuvre. Des chefs-d’œuvre en cinquante lignes, ce qui n’est pas pour déplaire à beaucoup. Je ne vois dans le livre qu’une petite tâche, le Renseignement que l’auteur aurait pu sacrifier ; mais la trilogie d’Eloi est une merveille. Eloi est digne de rejoindre Poil de Carotte, l’Ecornifleur et Mr Vernet dans le salon carré du musée Jules Renard »

Eugène Gilbert : La Revue Générale, octobre 1893 « La Lanterne Sourde » « Voici un nom familier à peu de personne sans doute en dehors du monde des lettrés, et sous lequel nous trouvons un des esprits les plus originalement doués et des plus curieusement orientés qui soient. Les Sourires pincés, l’Ecornifleur, Coquecigrues, et aujourd’hui La Lanterne sourde, constituent à peu près toute l’œuvre, sobre et homogène, de M. Jules Renard. Quel délicieux mélange d’ironie et d’humour, quelle observation malicieuse dans ces tableautins fugitifs, ébauchés d’une griffe rapide et si vivants, si cruellement justes et vrais ! Dans Tiennette la folle, dans le Casseur de pierres, c’est la pauvre et drôle simplicité des humbles, analysée avec une pitié très saisissables sous l’ironie. Cette note reparaît dans Têtes branlantes, au lieu que la malice et l’observation, un peu méchante, des ridicules humains dominent dans Cocottes en papier. Toute la série d’Eloi démêle et photographie le snobisme du littérateur. M. Jules Renard fera bien peut-être de saisir le moment voulu pour s’évader d’un cadre où il évolue en maître, sans doute, mais qui forcément peut devenir monotone et n’est point assez à l’abri du paradoxe et du bizarre un peu recherché, il peut aborder des œuvres définitives : son esprit pousse l’observation jusqu’aux dernières limites, sa langue est d’une très correcte et très originale saveur. »

Louis Moriaud : Le Genevois, 19 mars 1894 « La Lanterne Sourde » « A cette place même il a été dit – et cela par un plume plus autorisée que la mienne, - tout le talent personnel et remarquable que possède M. Jules Renard. A l’occasion de son nouveau recueil de fantaisies La Lanterne sourde, je suis heureux de pouvoir dire à mon tour combien j’aime et j’admire l’œuvre de cet écrivain si original ; il s’ajoute aussi la satisfaction de parler d’un de mes auteurs préférés et d’un jeune, dans toute l’acceptation du mot, puisqu’il est né en 1864. Son activité littéraire date à peine d’une demi-douzaine d’années, ce sont autant d’ouvrages à son actif ; cela pour indiquer combien rapidement il a conquis une des premières places parmi les humoristes actuels. Une de ses principales qualités – qualité éminemment française, bien que le mot qui la désigne soit un peu démodé – est, en effet l’humour, ce mélange de gaité et de tristesse, de douce philosophie et de brusque sensibilité. Il a une perception de la vie « sienne » très intense et d’une acuité spéciale. La vie se compose de mille petits faits, d’incidents futiles, insignifiants par eux-mêmes, d’anecdotes, c’est dans ces mille riens, dans ces détails qui paraissent sans importance que Jules Renard prend les sujets de ses croquis, de ses nouvelles, de ses fantaisies. Il ne les grossit pas, ne les dénature pas, n’en extrait pas le comique par les mêmes moyens qu’emploie le caricaturiste, qui déforme l’objet ; non, il les détache, les met en saillie, les décalque, les fixe sur le papier tels qu’il les perçoit, et le moindre de ces faits est une tranche réelle de la vie. Il analyse, voilà le mot vrai ; il ne cherche pas un sentiment, il ne veut pas découvrir la raison, le mobile, l’esprit du geste, non, il l’analyse, se borne à le décomposer en le constatant. Pour cette raison ses contes n’amènent pas le rire, comme ils vous procurent une jouissance intime, cette même satisfaction que l’on éprouve à surprendre un ridicule chez son voisin. Si l’auteur de la Lanterne sourde est d’une originalité indiscutable, il possède aussi le don de l’observation fine et pénétrante, l’ironie qu’il manie en adversaire redoutable, et une sincérité, un naturel exquis qui doublent le charme de ses historiettes. Son style est personnifié par la recherche de l’expression exacte ; certains de ses récits sont des merveilles de clarté et de précision ; chaque mot est calculé, pesé, mis à la place qu’il occupe et doit occuper sans qu’il puisse être changé ; maint poète burinera moins ses vers que Renard ses courtes proses. Il se détache encore de son œuvre une philosophie très humaine, bienveillante, mêlée de quelque pitié. Jules Renard ne s’est pas limité à ce seul genre de tableautins de scènes rapides, il produit des œuvres de longue haleine : Crime de village, huit nouvelles, et l’Ecornifleur, un roman de mœurs, qui, à d’autres mérites, joint celui de posséder une forme nouvelle, en dehors des modes coutumières, dans lesquels se banalise le roman moderne. S’il m’est permis d’aborder le chapitre des projets, il nous promet une série de fantaisie sur Poil de Carotte, un petit être d’une douzaine d’années, très philosophe devant l’injustice humaine qui domine son existence, - qu’il nous a souvent présenté déjà dans les différents journaux où il collabore. Enfin, ce sont livres à posséder, à garder, à lire et à relire, on en goûtera toujours plus la saveur particulière, le parfum spécial et l’on ne peut que tirer profit des enseignements, des morales, des leçons qui s’en dégagent à chaque page. La Lanterne sourde ou Coquecigrues, c’est le véritable livre de chevet, l’ami sûr, l’agréable compagnon que l’on retrouvera chaque fois avec un plaisir nouveau. »

Gaston Olmer : L’Art et la Vie, 1er novembre 1894 « La Lanterne Sourde » « Voici maintenant La Lanterne sourde. Il semble que toutes les histoires que Jules Renard y rapporte y sont plus réfléchies. Le ton ne devient pas plus grave, on y lit des choses de très plaisant comme le Bouton, l’Age sans pitié, mais le livre est manifestement d’un homme plus mûr ; on sent qu’il y a derrière ce qu’on lit, plus de choses. La moitié du livre concerne les idées d’Eloi et ses opinions, comme écrivain, homme du monde ou gentilhomme campagnard. Eloi est un type assez singulier. Tantôt naturaliste, tantôt symboliste, tantôt psychologue, il ne fait rien avec mesure. Il accepte toutes les opinions, il croit à toutes les théories, et en les adoptant, il va naïvement jusqu’au bout. On y voit la vraie pensée de Jules Renard, l’ennemi des idées générales prétentieuses, l’homme de la modération, de la pondération. Il sauve la banalité voulue de son sujet, par beaucoup d’esprit et un style excellent »

Publié dans La Lanterne Sourde

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