LEBLOND

Publié le par LAURENCE NOYER

Marius-Ary Leblond : La Revue, 1er juillet 1901 « l’enfant d’après le roman français contemporain » « On n’a jamais mieux senti qu’avec Jules Renard combien, en dépit de l’opinion courante, les humouristes diffèrent des auteurs amusants. Leur ironie se trempe d’une philosophie large et pitoyable ; approfondie d’une conscience vive de la nature, leur malice devient indulgente ; ils connaissent et ils aiment les champs, les bêtes et les bois, et de cela leur rire est plus doux, un peu mystérieux, presque sacré… Poil de Carotte est l’enfant dont la laideur a déterminé l’espièglerie, une espièglerie de nouvelle souche qui n’est plus gamine mais d’un gamin vieilli ; ce petit villageois est presque un Parisien, d’une gavrocherie seulement un peu retrempée de nature hâlée aux courses par les rivières et à la chasse – ce qui en fait la couleur et la saveur. Il a grandi au milieu de bourgeois ternes, aigrelets et épineux, petite sensibilité qui se durcit l’épiderme d’être sans cesse exposée aux épines et aux lardoires, aux coups de pince de l’écrevisse maternelle. Le père, absorbé et assommé par la mère, la laisse faire ce qu’elle veut, Poil de Carotte devient le souffre-douleur de la maison ; et les tracasseries développent le naturel petit génie je m’enfichiste, ironiste jusque de soi et philosophique un peu pessimiste. On l’a fait rentrer en lui-même : ses réparties sont souvent voilées : il a l’esprit pour soi plus que pour autrui, il se console avec de bons mots que lui seul comprend. Souffre-douleur, il a pris le parti de « rigoler » à sec : - et il ne sait plus rire pleinement ni sourire : il plaisante sans rire, ou si rire il y a, c’est un rire cérébral précoce. Il ignore la bonté : il lui arrive d’être mauvais sans le savoir, pour faire quelque chose. Il aurait été excellent, mais on l’a forcé à taire son cœur. C’est le garçonnet que la laideur amusante isole : on n’a jamais songé qu’à rire de lui, il a dû prendre le parti de l’accepter en artiste et ça l’a séché. Il a le sens ironiste désabusé de la nature ; tout sens poétique, c’est-à-dire de confiance, a été tué. Il ne se laissera jamais illusionner sur la vie, simplement il se laissera voler par elle en affectant de l’ignorer. Pierre et Berthe (Bucoliques) sont les vraies créations de Renard, enfants dont le bonheur a développé l’intégrale nature. Berthe surtout est l’enfant-humour, l’humour fait nature, d’un naturel incontestable car il vient de naître, il est l’humour nouveau-né. Elle a l’esprit fin d’observation des choses de la nature, du pittoresque bien plutôt que des sentiments et des idées… Car ce sens qui nous ravit chez Berthe est en somme de la jolie mauvaise-éducation, c’est du tempérament artiste, c’est de la simplicité…Tous les enfants ont du talent, tous sont des poètes… il y a en les enfants, il y a en Pierre et Berthe le sens féerique d’un Banville parfois un peu naturaliste et toujours naturiste… ce sont les bêtes qui parleraient. Ils disent ce que les bêtes ne peuvent pas dire. Ils sont encore des fleurs de jardins et de prés malicieuses et spirituelles… ils sont la nature parlant une nouvelle langue, ajoutant à son répertoire de voix dramatique, lyrique, sentimentale, philosophique, une voix qu’on n’avait pas encore entendu d’elle, humouristique. »

Publié dans enfant

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