MAIRE

Publié le par LAURENCE NOYER

Legrand-Chabrier : Le Mercure de France, 1er janvier 1909 « Jules Renard maire » « C’est un vieil artifice de rhétorique que le parallèle, et rien n’est plus suranné qu’un tel genre de critique. Je sais fort bien qu’il n’est pas à la mode littéraire de notre temps, qu’il a donc tous les défauts, et je concède qu’il doit les mériter. Mais je sais aussi que pour transformer un défaut en qualité il n’y a qu’à changer de point de vue. Cela me réconcilie sûrement, et vous réconcilie peut-être, avec le parallèle. Evidemment le parallèle sera toujours factice en ce sens qu’il méconnait l’unité ; il applique un système mécanique de commune mesure sur la vie, l’œuvre intellectuelle, l’action politique de deux hommes qu’il revêt d’une sorte d’uniforme. Il ne s’accommode point de la recherche de l’originalité, puisque son idéal est par définition…mais il serait dommage que nous autres, gens de Paris et des autres lieux où pénètre cette revue (L’Echo de Clamecy), nous leur laissions le Cahiers Nivernais. Du moins est-ce pour lutter contre notre négligence et notre faiblesse de curiosité que j’ai voulu parler ici des Mots d’Ecrits de Jules Renard et les apparier avec la Gazette du Village de Paul-Louis Courier. Je ne me permettrai point d’intercaler une vie de Jules Renard symétrique à la vie de Courier, telle que je l’ai esquissée – ni même autrement. Que Jules Renard soit né en 1864 à Chalons sur Mayenne…, etc., ce sont renseignements biographiques qui ne me servent à rien pour aimer ou détester son œuvre. Ce qu’il y a mis de lui ouvertement me suffit. Ai-je le droit, parce que j’ai acheté ses livres chez le libraire de m’introduire dans sa maison, d’enquêter sur sa vie privée, sa situation sociale, ses mœurs et ses manies, ses habitudes et ses maladies ? Ce sont besognes qui sont plus de pipelets, de policiers et de cambrioleurs que d’un critique… du moins d’un critique contemporain de l’écrivain. Car, après la mort, que cessent les scrupules, j’y consens, afin qu’une légende se crée, auréole et soutien des œuvres complètes. Mais entre contemporains, pour garder notre absolue sincérité, notre franc-parler, sans l’amollir sous la banalité de la politesse, ne nous attaquons qu’à l’ouvrage de l’esprit, et préservons le plus possible l’esprit même, tant qu’il est logé en un cerveau vibrant. Quoi ! Vous exclamerez-vous peut-être, pouvons-nous ne pas voir de quelques-uns de nos hommes et femmes de lettres mille photographies et mille réclames dans cent magazines ? Ce spectacle incite à la mensuration. Oui, mais réservons cette iconographie et ces détails pittoresques pour l’avenir ; cela fera le bonheur d’ingénieux termites de bibliothèque qui republieront ces documents. D’ailleurs, ces réflexions sont d’une portée générale, et d’avoir pu les formuler si naïvement je suis bien reconnaissant à Jules Renard, car l’on sait que c’est un sage qui comme tous les sages habite une maison de verre ; Courier a fait remarquer que cette habitation n’a pas réussi à Socrate, et je crois bien que cela ne réussirait pas plus dans l’état d’hypocrisie de notre société actuelle à la plupart de ses grands hommes et de ses vertueux patentés. Mais l’exception confirme la règle. Et Jules Renard, sage en sa maison de verre, est d’un trop cordial accueil à quiconque est ardent et sincère pour que j’insiste. D’autant que je pourrai paraître m’être éloigné de mon sujet double – je revendique le devoir du détour où l’on risque d’apprendre autant que par la ligne droite, car je suis bien sûr que les enseignements de l’école buissonnière sont inoubliables. Mais non, puisque, indiquant ma raison de ne pas conduire de ses premiers ans à la mairie de Chitry les mines l’auteur des Mots d’Ecrits, je place matériellement un « pendant » de la biographie de Courier. C’est un inconvénient du parallèle que je nommerai : la fausse fenêtre…. Le style de Jules Renard est un des plus sûrs que je connaisse… Il est d’une pureté de langue qui donne cette joie sereine que l’on éprouve devant une expérience de physique absolument réussie ; il impose l’idée de perfection et par la précision des termes et par la concision des phrases. Il dégouterait d’écrire si l’on ne le prenait en exemple. Et bien peu, hélas ! le savent faire. Prendre en exemple n’est pas imiter, ainsi que tant de disciples le croient ingénument et instinctivement dans leur faiblesse. La monnaie littéraire de Jules Renard est en circulation, comme il arrive toujours autour d’un génie, mais si ses imitateurs de trop bonne volonté admirative saisissent plus ou moins extérieurement et artificiellement le procédé personnel de vision ou le procédé personnel de disposition typographique, ils sont vite reconnus à l’impropriété de leur style, qui demeure approximatif. Oui, Renard appelle un chat un chat – et il se garde d’appeler Rolet un fripon, du moins en tant que synonyme et autrement que par simple appréciation d’un homme sur un homme. Non, ni Courier, ni Renard ne se gargarisent de mots insensés, qui sont privés de leur sens précis ; et c’est pourquoi, en dépit de ses efforts, Courier ne put jouer un rôle politique. Et c’est pourquoi je ne souhaite pas trop que Renard - soit un jour député de la Nièvre… »

Publié dans Mairie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article