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Publié le par LAURENCE NOYER

R.A : Le Temps : 2 novembre 1907, A l'occasion de l'élection de Jules Renard à l'Académie Goncourt, le 31 octobre « Une élection à l'académie des Goncourt
Les « neuf ont, hier soir, élu un dixième. On sait que réunis il y a huit jours au café de Paris,
ils n'avaient pu se mettre d'accord sur un nom. Ils se sont assemblés de nouveau chez M. Léon Hennique, dans ce même appartement voisin du Trocadéro où déjà furent élus, en 1899, MM. Elémir Bourges, Léon Daudet et Lucien Descaves. A neuf heures, les académiciens examinèrent la situation. A neuf heures un quart, ils votaient; à neuf
heures et demie, le résultat était acquis M. Jules Renard succédait à Joris-Karl Huysmans.
D'ailleurs voici quelle fut la répartition des, suffrages : 1er tour : Victor Margueritte, 3 voix ; Henry Céard, 3 voix; Jules Renard, 2 voix; Georges Lecomte, 1 voix. 2ème tour : Victor Margueritte, 4 voix; Henry Céard, 3 voix; Jules Renard, 2 voix. 3ème tour: Victor Margueritte, 4 voix; Jules Renard, 3 voix; Henry Céard, 2 voix. 4ème tour : Jules Renard, 5 voix (élu) Henry Céard, 2 voix ; Victor Margueritte, 2 voix. A l'issue de la séance, les « neuf » furent questionnés. Ils assurèrent que tout s'était passé le mieux du monde, et qu'aucun dissentiment ne saurait s'élever entre eux. M. Jules Renard, homme de lettres au sens où les Goncourt entendaient ce terme, honorera la Compagnie qui le choisit. Il a dit, un jour qu'on l'interrogeait : Je suis né en Mayenne, par hasard, mais je n'ai qu'un pays, Chitry-les-Mines, dans la Nièvre. C'est là que mon père demeurait; c'est là qu'il mourut.
Ce petit coin de terre contient toute ma vie. Il prépara là l'Ecole normale, fut reçu à la Compagnie de l'Est et travailla dans une maison de charbons. Quelques revues de jeunes refusèrent ses écrits au caveau littéraire de la place Saint-Michel qu'Emile Goudeau surveillait, il récita des vers et fut conspué. Puis un beau matin il fonde le Mercure de France avec M. Valette. Il a son journal; il est connu bientôt, bientôt admiré. Il raconte sa vie d'enfant soucieux, qui fut précaire et parfois douloureuse. Il analyse ses premiers éveils, le contact
rude avec les hommes et les choses, et ses notations aiguës, son sourire amer impressionnent. Mme Lepic, grand frère Félix, Poil de Carotte deviennent soudain des personnages familiers, qui frémissent là, devant nous, et leur histoire, romanesque et précise
à la fois, nous captive. Il publie L’Ecornifleur, Poil de Carotte, la Lanterne sourde, les Histoires naturelles, les Bucoliques. Il est en effet un bucolique attendri. Il achète dans son
Nivernais un tout petit domaine et s'y retire fréquemment pour se recueillir et observer. Il écoute les mille bruits de la nature et les comprend; il considère l'oiseau, l'insecte, épie leurs menus gestes, puis surprend le vigneron au détour de la route. Il traduit tous ces riens inutiles et profonds en des récits brefs qui synthétisent l'âme obscure des campagnes et de leurs hôtes. Il est décoré. Il est élu conseiller municipal et maire de son village. Mais il ne hâte jamais sa production et travaille avec une patiente philosophie: quelques contes, quelques fables, quelques piécettes cruelles et jolies comme Monsieur Vernet et Plaisir de rompre. C'est un poète minutieux et un sage. Henry Bataille l'a placé jadis dans son album. Et sous sa figure bombée, qu'éclairent deux yeux aigus percés en trou de vrille, il a mis
La tête en forme de haricot et le double menton des oies vexées. Et l'oreille, comme celle des lapins, dressée. Dans le silence microscopique des choses, écoute. Jules Renard est dans ce portr
ait tout entier. »

Publié dans Goncourt

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