BOIS

Publié le par LAURENCE NOYER

Jules Bois : Les Annales, 13 décembre 1908 « Nos Frères Farouches, Ragotte » « Jules Renard dédaigne l'expansion, réticent, boutonné jusqu'à l'âme, sensible pourtant, très épris du talent des autres, quand ce talent manifeste une personnalité ou qu'il jette une lueur dans quelque recoin du cœur humain. On a dit que Jules Renard était un humoriste; il est mieux encore. C'est un peintre de paysages; c'est, surtout, un peintre de caractères. Il a pénétré l'âme des bêtes et celle des hommes qui, parfois, est plus difficile à trouver. Il a créé des types qui vivront. Il a fait fi de tout ce que plaque sur l'individu réel l'artifice des conventions et des mensonges. Il met à nu les ridicules et les égoïsmes. Qui, aujourd'hui, ignore Poil de Carotte? Quoi de plus rare comme bijou d'art, de plus joli connue observation, que l'Ecornifleur? Sourires Pinces est une série de morceaux d'anthologie. Sa veine est courte, mais originale. Il y a encore une œuvre de Jules Renard dont on parle moins et qui est peut- être la plus forte, la plus intense: les Philippe. La Bruyère eût aimé ces pages rustiques, lui qui a parlé de « certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible »[...] Poète naturaliste en prose, M. Jules Renard sait être énergique et délicat dans une concision que, seuls, les meilleurs atteignent. Son Philippe nous apparaît non pas d'un bloc, mais, peu à peu, évoqué par des annotations successives et brèves. Il saigne le cochon, prend un bain seulement quand il pêche à l'épervier, appelle sa vache « Charmante », afin de l'appeler «Chameau» plus aisément quand il se fâche, ne lit les affiches de la mairie que lorsqu'elles se décollent (« Tant qu'elles tiennent, il n'a pas besoin de se presser ») ; il rit, surtout, d'une manière; que, seul, Jules Renard sait nous décrire: C'est-à-dire qu'il ouvre la bouche comme s'il riait et que sa peau cuite fait des plis serrés autour de ses yeux. On n'est pas sûr qu'il rit. Ses yeux clairs tranquillisent par leur gaieté puérile; mais la bouche, qui bâille inutilement, trouble un peu. Et, quand dette bouche se ferme, la figure de Philippe cesse de vivre. Elle ressemble à une motte de terre dont sa barbe serait l'herbe sèche. Je me demande qui, parmi les contemporains, pourrait aussi sobrement nous initier à une psychologie de paysan! Je sais que beaucoup, après lui, ont décrit les légumes, les animaux et les rustiques. Mais il y a style et style. — Tout le monde ne peut pas être Orphelin, dit Poil-de-Carotte. Je dirai: — Tout le monde ne peut pas être Jules Renard. On le voit, les paysans, M. Jules Renard les aime et il sait les décrire. Son dernier volume, rien que par le titre: les Frères Farouches, les peint déjà. Après nous avoir conté « Ragotte », l'humoriste nous divertit en nous définissant quelques animaux, selon la méthode des « histoires naturelles ». C'est bref, pittoresque
et exac
t. »

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