FLERS

Publié le par LAURENCE NOYER

Robert de Flers : La Liberté, 23 octobre 1909 « La Bigote » « La pièce de M. Renard est presque un petit chef-d’œuvre. Ce n’est pas le premier que nous devons à l’auteur des Histoires naturelles, de l’Ecornifleur, du Plaisir de Rompre et de l’immortel Poil de Carotte. L’intérêt de la pièce consiste uniquement dans l’art et la vérité du dialogue, dans la perfection de la langue, dans la peinture minutieuse et avertie d’êtres quelconques, très quotidiens, tout près de nous, semblables à nous, aux sentiments quelconques, aux âmes ordinaires. C’est d’un réalisme familier, tout comme celui de Dickens ou de George Elliott. Tout de suite ces deux petits actes nous ont semblé être classiques. Ce n’est pas un médiocre compliment à leur faire. La Bigote nous a ravis par mille traits heureux d’observation précise et profonde, par la notation juste et pénétrante des caractères et par des mots d’un comique délicieux. Si la fin en était un peu écourtée et atténuée, je ne vois point quelle critique l’on pourrait adresser à cette pièce. Je dis atténuée, car en dépit des précautions de l’auteur, la Bigote a paru dans la deuxième partie du second acte, prendre des allures de thèse et procéder d’un anticléricalisme quelque peu de parti-pris. M. Jules Renard a voulu étudier l’influence funeste, à son avis, du curé dans un ménage qu’il désunit. M. Lepic est un brave homme qui n’a pas de religion, et qui souffre de voir dans son intérieur une autre volonté s’interposer entre sa femme et lui. Depuis 25 ans qu’ils sont mariés, Mme Lepic a toujours fait passer le curé avant son mari ; aussi M. Lepic a-t-il pris l’habitude de garder, dans la maison, un silence hostile et dédaigneux, ayant reconnu l’inutilité de la lutte. Son fils Félix, un jeune collégien, commence à s’émanciper ; mais sa fille Henriette est aussi une petite bigote et prend le parti de sa mère contre lui. Aussi se désintéresse-t-il d’elle, et quand un jeune homme, Paul Roland, vient lui demander sa main, il la lui accorde sans joie, avec indifférence. Devant l’étonnement du fiancé, il sort de son mutisme habituel et se laisse aller à dire tout ce qu’il a sur le cœur depuis si longtemps. Il prédit à Paul Roland qu’il aura le même sort et qu’il souffrira également de la désunion que le curé mettre entre sa femme et lui. Paul lui affirme qu’il n’en sera pas ainsi, et Henriette lui jure qu’elle ne sera pas bigote. Vain serment, sans doute, car voici le curé qui arrive pour féliciter les fiancés et devant lui Henriette redevient aussitôt craintive et respectueuse. M. Lepic sort en haussant les épaules. Cette pièce, souvent admirable, a été jouée admirablement par M. Bernard qui a fait du personnage de M. Lepic une création vivante et achevée, d’un naturel et d’une vérité incomparables. C’est un sûr et véritable artiste. Cette petite pièce, qui est beaucoup plus grande qu’elle n’en a l’air, a obtenu un succès considérable. »

Publié dans La Bigote

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