CORNU

Publié le par LAURENCE NOYER

Paul Cornu : l’Observateur du Centre, 28 mai 1910 « Jules Renard » « La Nièvre ne pouvait faire une perte plus cruelle que celle de Jules Renard. Depuis longtemps aucun de ses enfants ne l’a illustrée avec tant d’éclat. Jules Renard était, par la finesse de son esprit et la pureté de son style, un merveilleux ouvrier des lettres ; c’était de tous le plus probe. En un temps où tant de réputations factices et de fortunes usurpées ne s’établissent que par de cyniques réclames et d’effrontés tintamarres, Jules Renard s’est appliqué à produire lentement, modestement, des chefs-d’œuvre réels, qui ne lui rapportèrent que de minces profits. C’était, de plus, un homme de convictions. Aussi aisément que d’autres, il eût pu se tailler des succès en professant quelque anarchisme de névrose ou quelque scepticisme à petites secousses. Dreyfusard, anticlérical, blocard, il a préféré — et c’est à l’éloge de sa parfaite conscience — mettre son talent et son temps au service des idées qui lui étaient chères. Pour savoir jusqu’à quel point il désirait travailler à l’amélioration matérielle et morale du peuple, il faut l’avoir connu à l’époque où il écrivait pour les paysans de Chitry et de Chaumot ces admirables Mots d’écrit qui valent les meilleures pages de Voltaire et de Courier, et avoir préparé avec lui, comme je l’ai préparée, la publication de ces Cahiers nivernais qu’il avait tant désirée. Son œuvre tout entière est la manifestation des mêmes convictions. Les esprits qui s’intitulent délicats, parce qu’ils ont eu des idées trop fortes et trop saines, continueront à répandre la légende de Jules Renard humoriste, sceptique amer. Mais une œuvre éternelle comme celle de notre grand ami prend toujours, quand son heure arrive, sa véritable signification. Un jour viendra où les solides leçons de morale laïque et sociale qu’il a enveloppées d’une forme précieuse et si pure apparaîtront dans toute leur force. Jules Renard sera pour tous alors ce qu’il est déjà pour ceux qui l’ont intimement connu : un moraliste égal, au moins, à La Bruyère. « Il s’en va jeune, en pleine vigueur de talent, au lendemain de cette Bigote qui était un acte de courage civique, un an à peine après cet excellent discours des prix du lycée de Nevers qui, dans une autre sphère, n’était pas d’une moindre fermeté. « Qu’il parte consolé. Son œuvre ne peut mourir. Et quand à ses idées, elles sont acquises à des disciples qui sauront, en s’inspirant de l’enseignement délicieux qu’étaient ses conversations privées, en propager avec ses écrits la solide vertu [...] »

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