LEPETITPARISIEN

Publié le par LAURENCE NOYER

Le Petit Parisien « Mort de Jules Renard » « Jules Renard, dont l’état ne laissait plus place à aucun espoir, a succombé la nuit dernière, après une longue et douloureuse agonie, succombant en pleine maturité, alors que l’on pouvait attendre de lui beaucoup d’autres œuvres originales et d’une forme parfaite. Jules Renard est né à Chalons dans la Mayenne, en 1864, et certainement sa famille ne le destinait point à la littérature. Son père, entrepreneur de travaux, le fit étudier en vue de l’école normale, mais le jeune homme ne montra aucun enthousiasme pour les carrières qui pouvaient ainsi s’ouvrir devant lui. Il préférait écrire des vers, des romans ou des comédies. Aussi fut-il un des fondateurs du Mercure de France, en 1890, étant déjà le collaborateur d’un certain nombre de journaux, où son originalité lui avait fait une place à part, qu’il devait conserver par la suite devant le public. Son talent d’observation est curieux et sa fantaisie, parfois imprévue et singulière, offre une espèce de sécheresse qui ne le rend pas accessible à tout le monde. Pourtant, il a eu de grands succès et sa comédie ; Poil de Carotte ainsi que l’histoire d’enfant malmené d’où elle est tirée, ont été lues et applaudies avec un extrême plaisir. On y rencontre à chaque instant un attendrissement qui, pour être enveloppé de gouaillerie, de raillerie, n’en est pas moins très vif, et va directement à l’âme. Le petit roman de Poil de Carotte, - si l’on peut donner le nom de roman à cet ensemble de courtes scènes, - ne fut pas très remarqué, quand il parut ; il dut à la scène et notamment à la merveilleuse interprétation de Suzanne Desprès, un succès énorme, et dont personne ne saurait contester la légitimité. Il restera un des meilleurs ouvrages de Jules Renard, un de ceux où la personnalité intime de l’écrivain, se révèle heureusement aux regards attentifs. Jules Renard appartenait à la famille des auteurs gais. On ne voit pas bien pourquoi. Cette classification était tout à fait arbitraire, en ce qui le concerne, car il y a surtout de l’amertume, de la tristesse, dans les livres de ce philosophe adroit à surprendre les rosseries, les bassesses, les méchancetés, et aussi les mille petites vilenies de l’existence. Renard a beaucoup écrit, et il convient de citer, parmi ses principales œuvres, les Coquecigrues, les Sourires pincés, les Histoires naturelles, M. Vernet, et Nos frères farouches, pages remplies de notations heureuses, et non dépourvues de profondeur, sur les âmes campagnardes. Rappelons, à ce sujet, que Jules Renard habitait volontiers la province. Ce parisien était même maire de sa commune, Chitry les Mines, à trente kilomètres de Clamecy, et c’est là qu’il étudia et saisit sur le vif les âpres physionomies de ces « frères farouches » dont il a tracé d’impressionnantes silhouettes. En raison du caractère un peu spécial de son talent, de son genre d’esprit, Jules Renard ne jouissait pas absolument de la grande réputation qu’il méritait, et peut-être cette injustice n’était-elle pas sans avoir une influence sur ce qu’il écrivait. Dans tous les cas, il laissera à tous ceux qui surent l’apprécier, le souvenir d’un homme de haut mérite littéraire, et d’un philosophe qui ne parvenait pas toujours à masquer sous une froideur voulue la sensibilité de son cœur. La levée du corps aura lieu aujourd’hui au domicile du défunt, 44 rue du Rocher ; après une brève cérémonie, le cercueil sera dirigé sur la gare de Lyon, d’où il partira pour Chitry les mines où aura lieu l’inhumation. »

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