G.D

Publié le par LAURENCE NOYER

G.D : Le Temps, 1er mars 1912 : En souvenir de Jules Renard « On annonce qu’un comité vient de se réunir afin de dédier un monument à la mémoire de Jules Renard sur le territoire de la commune de Chitry-les-Mines (Nièvre). Déjà, il y a quelque temps, aux examens pour le certificat d’études primaires, les petits écoliers du département de la Nièvre eurent à s’exercer sur ce sujet de composition : Développer cette phrase de Jules Renard : « L’âne est un lapin qui a grandi ». En proposant ainsi à la sagacité admirative des futurs électeurs de Nevers, Cosne, Clamecy, Château-Chinon et lieux circonvoisins un extrait, minime à la vérité, choisi au hasard dans les œuvres très originales et humoristiques où l’auteur des Histoires naturelles et des Sourires pincés a noté brièvement les observations de son esprit ironique et de son œil mélancoliquement narquois, les autorités scolaires du département de la Nièvre ont voulu honorer non seulement un célèbre écrivain, très goûté des Parisiens, mais aussi un éminent concitoyen qui ne dédaigna pas d’occuper, dans une modeste commune nivernaise, les fonctions de maire et d’officier de l’état civil. Chitry-les-Mines est une commune de l’arrondissement de Clamecy, sur les rives verdoyantes de l’Yonne, à cinquante kilomètres de Nevers. Cette pittoresque localité tire son nom des mines que l’on a creusées dans le sol alentour, et où abonde un minerai mêlé d’argent. Il y a dans les environs, des fours à chaux, des tuileries… qui assurent la prospérité du pays. C’est à Chitry que le psychologue amer et apitoyé de Poil de Carotte a passé toute son enfance. Et c’est dans son cher département de la Nièvre qu’il reçut des libres volontés du suffrage universel une écharpe municipale dont il était ingénument fier presque autant que de son titre de membre de l’académie Goncourt. On peut croire que s’il n’eût pas été enlevé aux Lettres par une mort prématurée, il fût devenu, sans trop de difficultés, conseiller général de son canton, député de son arrondissement, et peut-être sénateur de son département. Cette fortune politique de Jules Renard, répondant de loin à sa fortune littéraire, sera peut-être un sujet d’étonnement pour ceux qui savent à quels ennuis l’homme de lettres qui, après avoir travaillé pour les Parisiens, se laisse entrainer par la généreuse ambition d’être utile à ses compatriotes… C’est pourquoi, les laboureurs et les bûcherons ont aimé comme un confident de leurs longs labeurs et de leurs joies brèves l’auteur du Vigneron dans sa vigne, des bucoliques, l’honnête homme de lettres qui peu de temps avant sa mort, faisait à un de nos amis cette élégante profession de foi littéraire : « Je n’ai pas de besoins, je ne tiens pas à gagner de l’argent… je n’écris que lorsque j’ai quelque chose à dire. Je n’ai d’autre joie que d’élever ma famille et de prendre de l’exercice à la campagne ». Tandis que les Parisiens louaient les Pointes sèches de Jules Renard et admiraient ce qu’un de ses plus fidèles camarades, M. Ernest Raynaud appelle justement sa « manière nette, cursive, aiguë, son écriture à l’eau forte », là-bas, au pays, on aimait, en même temps que son renom d’écrivain, l’inlassable persévérance de son dévouement discret, l’attachement de son cœur à la terre des ancêtres, la correction, un peu archaïque, de sa tenue, la dignité traditionnelle de son foyer. Il disait un jour : « … Pourquoi ne vous ferais-je pas cette confidence ? Dans le dur métier des lettres, ce qui rend le plus souvent, tel ou tel confrère profondément malheureux, c’est l’impatience terrible d’une femme qui a des appétits de luxe et de vanité. La femme qui harcèle son mari sans cesse, et qui lui rappelle qu’un tel gagne tant par an, qu’un tel réussit, etc… cette femme-là est un fléau domestique. L’animal de race, le pur-sang que doit être l’homme de lettres devient sous ces coups de cravache multipliés un cheval de labour, un cheval d’omnibus, un cheval de fiacre, toujours éreinté, fourbu… pour moi au contraire, ma femme trouve que je travaille trop. Je me contente de mon intérieur modeste. Et parmi mes livres, ma petite famille, mon papier blanc – que je noircis quelquefois, - je vis parfaitement heureux. » Ce bonheur paisible et charmant – si tôt brisé, hélas ! – n’eût pas été complet sans la récréation salubre que les affaires particulières d’un pays très aimé offrait aux loisirs champêtres de Jules Renard. On a recueilli, sous le simple titre de Mots d’écrit, quelques-uns des articles qu’il a destinés plus spécialement à ses lecteurs de la Nièvre. Il se plaisait en effet à « noircir du papier » pour ses compatriotes. Il collaborait à des journaux locaux, dont la tenue fut singulièrement relevée par cette contribution précieuse. On sait ce que sont à l’ordinaire, les polémiques locales. Cela ne dépasse guère, habituellement le niveau des « mares stagnantes ». Mais qu’un véritable écrivain s’en mêle, qu’il élève ces humbles débats à la hauteur de son talent, qu’il cherche ce qu’il y a d’humanité permanente dans ces incidents éphémères de la vie réelle, qu’il y trouve l’aliment de sa verve, l’objet de son indignation vengeresse ou de son ironie cinglante, on a aussitôt la Pétition de Paul-Louis Courier pour « les villageois qu’on empêche de danser », les Pamphlets de Claude Tillier, les Mots d’écrits de Jules Renard, des chefs-d’œuvre… C’est à quoi sans doute ont pensé les personnes intelligentes qui se proposent d’honorer par une affectueuse commémoration le souvenir de Jules Renard chez les nivernais. »

Publié dans MONUMENT

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article