ECHODECLAMECY

Publié le par LAURENCE NOYER

Echo de Clamecy, 16 juin 1912 « Poil de Carotte » «… Ce style élégant et précis, trahissant une observation minutieuse et profonde, à la fois cruelle et résignée, marquait l’œuvre de Jules Renard pour une rapide destinée classique. Voilà que la Comédie Française inscrit Poil de Carotte à son répertoire : il ne reste plus qu’à mettre les pages caractéristiques de ses études champêtres dans les livres de nos écoles, qui ne sauraient en contenir de meilleures et de plus attrayantes. Mme Jules Renard, que l’écrivain, en partant si jeune, laissait avec un fils et une fille, habite encore le modeste appartement qu’ils occupaient en famille rue du Rocher. Elle y reçoit parfois ceux qui furent les familiers de Jules Renard, et la fidélité de Tristan Bernard lui a surtout été précieuse dans son isolement. Le fils a grandi ; il est externe des hôpitaux et va se marier, dans deux mois, avec une jeune fille de Chitry, qui est le pays de Poil de Carotte, et qui reste le pays des Renard. C’est là-bas que le grand écrivain repose et qu’un comité d’amis va consacrer bientôt sa mémoire, par un monument élevé sur la petite place du village. – Vous savez, m’a dit Mme Jules Renard, qu’il était le maire très actif de Chitry ? Et je pense, non sans mélancolie, en ces temps où les villages sont troublés par les luttes électorales, combien il se serait passionné pour les élections dernières ! Lui, si discret, si simple dans la vie littéraire de Paris, mettait là-bas une ardeur singulière à combattre et à convaincre ses concitoyens, les paysans frustes dont il était le conteur et le critique. A force d’observer les choses et les gens de sa petite patrie, d’avoir passé près d’eux, d’avoir aussi surveillé leur pensée, il désira conquérir l’affection des paysans de son village. Il les connaissait jusqu’en leurs plus mystérieux replis ; il s’était penché sur leur cœur obscur comme sur la terre nivernaise, et l’avait pénétré sillon à sillon. Bêtes et individus, insectes et paysages, il avait surpris leurs secrets… Cependant Chitry, qui l’avait vu naître, Chitry dont Poil de Carotte venait peut-être d’immortaliser le monotone et modeste horizon, n’apprécia que fort tard, longtemps après Paris, le mérite de son citoyen. J. Renard m’a raconté jadis, non sans quelque tristesse, qu’il avait été fort déçu lorsqu’un impresario fit jouer Poil de Carotte à Nevers : la salle resta vide, et vainement des gazettes avaient annoncé que l’auteur, enfant du pays, parlerait avant sa pièce ; ce fut un désastre… Que d’autres déceptions inavouées cet artiste discret, qui était un sensible et un tendre, éprouva de ne point avoir conquis de gloire locale ! Il était déjà conseiller municipal lorsqu’il fut décoré de la Légion d’honneur, et pensait qu’à son retour là-bas, ses collègues se hâteraient de le fêter ; même il projetait de les traiter joyeusement au restaurant de la ville voisine. Et pas un ne lui dit un mot, par un ne remarqua le ruban neuf ; il en conclut avec amertume qu’ils ne s’intéressaient ni aux autres ni à eux-mêmes. Cependant il devint maire du village ; il polémiqua dès lors régulièrement dans l’Echo de Clamecy et les articles exprimant ses idées politiques et sociales fort avancées s’intitulèrent : Mots d’Ecrits. Dans le style le plus direct et le plus libre, mais avec une simplicité de cœur, il s’efforçait de rendre meilleurs, moins ignorants, moins frustres, ces hommes qu’il aimait sincèrement. Les intolérances, les mesquineries, les misères morales du village le désolaient ou l’irritaient. Et il disait à ses électeurs de rudes vérités. Il polémiquait rudement contre le châtelain et le curé pour l’école laïque, l’instituteur, les idées républicaines et voulait refaire une société selon la justice… Jules Renard avait pénétré l’âme obscure des paysans, et ceux-ci ne l’avaient pas compris… Il a tout regardé, tout entendu, jusqu’aux silences de la nature et au recueillement des choses… Il a raconté comment il voulait partir pour gagner sa vie à Paris contre le gré de sa mère, qui le surveillait et l’écoutait marcher, au matin… »

Publié dans poil de carotte

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