MATHIEX

Publié le par LAURENCE NOYER

Paul Mathiex : La Presse, 27 juin 1925 « Journal inédit » « M. Emile Henriot nous apprend qu’il a pu feuilleter le Journal intime de Jules Renard, qui va bientôt paraître en librairie et il en publie quelques passages dans le Temps : C’est paraît-il « un ouvrage amer, cruel, sensible, spirituel, qui va faire rire et faire scandale. » On sait quelle était la manière de Jules Renard, et, par les volumes qu’il a produits, où l’on retrouvera d’ailleurs, consignées beaucoup des petites notes qu’il a, par la suite, utilisées dans ses livres, mais on y lira également quelques confidences, dans le genre de celles-ci, contenant un excellent jugement sur Jules Renard lui-même : «Je m’aperçois, plus que jamais , que je ne sers à rien, Les lignes que j’écris me paraissent puériles, ridicules, et surtout absolument inutiles… » « Absolument inutiles » à défaut d’autre mérite, Jules Renard avait du moins celui de ne se faire aucune illusion sur la vertu de ses écrits. Le fait de le constater n’implique ni critique, ni dénigrement à l’égard d’un auteur qui fut un prosateur consciencieux et correct, ayant un louable souci de la concision ; c’est formuler une simple et évidente vérité que méconnaissent, dans leur immense orgueil, la plupart des gens qui font profession d’écrire. Il faut bien convenir, cependant, que leur métier est le plus inutile qui soit, comme Jules Renard en faisait aveu sur un feuillet de son journal intime. De ce que produit la majorité des littérateurs, quel que soit leur genre ou leur spécialité, il ne reste rien, et, s’ils n’avaient jamais publié une seule ligne, le pays n’eût éprouvé de leur silence le moindre dommage. « Je m’aperçois que je ne sers à rien », notait Jules Renard, ayant fait la remarque de la parfaite inutilité de ce qu’il écrivait. En quelques mots, il faisait ainsi la critique et prononçait la condamnation de ce métier, dont sont si fiers tous ceux qui savent tenir une plume et connaissent l’art de s’en servir. Qu’il est prétentieux et vain, ce métier, quand on cesse d’en remarquer les côtés brillants et qu’on le juge seulement au point de vue pratique et social ! Le plus humble des travailleurs accomplissant la tâche la plus banale, est évidemment plus nécéssaire à la collectivité que le malheureux garçon qui s’adonne, avec une absurde et dérisoire fierté, à la fabrication d’un roman ou à la construction d’un poème, qui ne présente pas le moindre intérêt et n’a pas la moindre valeur. A l’insipide et sotte besogne, laborieusement exécutée par ce pauvre primitif, opposez la tâche féconde et magnifique accomplie par le laboureur, le jardinier, le terrassier, le maçon, le menuisier, et voyez combien, au fond, pèse peu celle dont l’écrivain tire une vanité si peu justifiée ! l’homme qui a fait pousser un chou, celui qui a bâti une maison, ou fabriqué un meuble, ont le droit de se dire avec satisfaction et avec orgueil, qu’ils ont fait œuvre utile, nécessaire, indispensable. S’il veut bien réfléchir l’homme de plume est bien obligé de constater la parfaite inanité de son effort et l’inutilité complète de sa propre existence. C’est ce que faisait Jules Renard. Et tous ses confrères pourraient répéter sa phrase, à moins d’avoir le génie d’un Corneille, d’un Molière, d’un Voltaire, d’un Victor Hugo, d’un Musset ou d’un Balzac ! »

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