ANTOINE

Publié le par LAURENCE NOYER

André Antoine : Bernard Grasset « Mes souvenirs sur le théâtre Antoine et sur l’Odéon » « 16 novembre 1899 – Jules Renard m’a lu tantôt après déjeuner, chez Maire, un acte tiré de Poil de Carotte. En prenant rendez-vous avec moi, il y a quelques jours, il m’avait dit : « Je songe à vous donner la pièce que vous m’avez demandée mais j’hésite encore après l’avoir lue à divers amis dont les avis sont partagés. L’un d’eux, celui en lequel j’ai le plus confiance, car il est lui-même un auteur fort distingué, me déconseille absolument de porter cela au théâtre. » J’avais répondu que le plus simple était de me lire à moi et que je serais bien surpris, s’il n’avait pas quelque chose qui lui fasse honneur autant qu’au Théâtre Antoine. Renard n’avait pas fini la première scène, celle de Poil de Carotte avec la jeune bonne, que j’étais déjà fixé et lorsqu’il a refermé son manuscrit, je lui ai sauté au cou, en lui disant : « Renard, vous m’apportez un chef-d’œuvre ! » – 1er mars 1900 – Répétition vraiment triomphale de Poil de Carotte ; malgré une interprétation que je m’obstine à tenir pour relativement faible, en dépit de la satisfaction de Renard et de l’enthousiasme du public. Desprès, avec sa figure ingrate, ressemble à un jeune frère de Renard ; elle ne donne cependant pas l’enfant bavard et gentiment faiseur d’embarras dans la scène avec la petite bonne. Elle a un beau moment d’attendrissement délicat qui emporte tout, mais les dessous du gamin n’y sont pas assez, malgré une mise scène méticuleuse à laquelle d’ailleurs je me suis tellement attardé que je sais mal mon rôle, et je demande à Gémier de nous souffler. Sa compréhension des moments où j’hésite et son instinct merveilleux du théâtre en font pour ma mémoire un appui de toute sûreté devant le public. Au moment où la pièce s’achève dans les bravos, comme je me penche pour le remercier, j’ai l’émotion de voir la figure de mon gentil souffleur ruisselante de larmes. – Juin 1900 – Aujourd’hui, visite à Jules Renard dans sa petite maison rue du Rocher, espèce d’héritage à moitié hypothéqué, qui lui donne des airs de propriétaire. Et, comme assis en face de lui à bavarder, je prends machinalement une cigarette, mon regard tombe sur une petite plaque émaillée fixée au mur derrière sa tête : « On est prié de ne pas fumer ». Son sourire malicieux cueille mon air un peu désemparé, et comme je lui dis en riant : « ça m’est égal ! Je fume tout de même ! » Il m’y autorise d’autant plus volontiers, dit-il, qu’il avoue n’avoir pas prévu l’importance qui pouvaient avoir dans le rôle de son père Lepic, mes cigarettes à moitié mâchonnées et le relief que prennent certaines répliques entre deux bouffées de fumées. – 15 décembre 1900 – A Monte-Carlo, où vient me trouver la nouvelle de ma promotion dans la Légion d’honneur, je reçois ce télégramme de Jules Renard : Bravo ! Votre croix est le triomphe éclatant et définitif de la couleur Poil de Carotte. Toute la famille vous embrasse. Jules Renard. – 5 janvier 190. – Visite de Renard, tantôt. Il aime à bavarder dans mon bureau ou ma loge, à me pousser sur quelques auteurs de ses amis qu’il aime d’ailleurs, sans, je crois, au fond, bien qu’il n’en dise rien, admirer beaucoup leur talent. Avec une malice paysanne, il m’emballe sur Hervieu et d’autres, et je m’amuse toujours de ses petits yeux pétillants et du sourire que font monter à ses lèvres mes débinages un peu passionnés. – 5 mai 1903 – Répétition générale du nouveau spectacle. Le Supplice du Silence, deux actes d’excellente comédie de Berr de Turique ; Monsieur Vernet, de Jules Renard […] Nous avions dû faire relâche hier soir à cause de la complication des décors, et aussi en raison des béquets innombrables que l’auteur de Monsieur Vernet nous a apportés jusqu’à la dernière heure… Monsieur Vernet est l’adaptation, par Jules Renard, de son roman l’Ecornifleur. En passant du livre à la scène, l’œuvre a pris une vigueur inattendue et les trois caractères de M. et Mme Vernet, ainsi que l’Ecornifleur, sont des merveilles. La pièce, une des choses les plus parfaites sorties de la plume du grand écrivain, remporte un succès littéraire considérable. […]

Publié dans portraits

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