Guy Verdot ; Le Figaro Littéraire, 21 mai 1960« Jules Renard ? Peu de rides… »

Publié le par LAURENCE NOYER

Guy Verdot ; Le Figaro Littéraire, 21 mai 1960« Jules Renard ? Peu de rides… » Guy Verdot ; Le Figaro Littéraire, 21 mai 1960« Jules Renard ? Peu de rides… » « Jules Renard est mort le 22 mai 1910. Ce cinquantenaire a été célébré samedi dernier à l’hôtel de Massa, où MM. Francis Didelot et Marcel Achard ont, l’un retracé la vie de Jules Renard, l’autre évoqué l’auteur dramatique. En marge de cet hommage « officiel », nous avons mené une enquête-express auprès de jeunes écrivains d’aujourd’hui sur ce thème : Jules Renard… qu’est ce que ce nom évoque pour vous ?

Gilbert Siguaux a préfacé et annoté le Théâtre complet : - la vie posthume de Renard a changé depuis la première édition du Journal (1925) et surtout la seconde (1935). Cette publication a fait « tourner » toute son œuvre. Du premier du second rayon, il est passé au premier rang du premier rayon. Le Journal est un grand livre. En tant que prise de conscience d’une désillusion, c’est l’équivalent de l’Education Sentimentale.

Albert Palle n’a pas lui tout le Journal mais… Ce que j’en ai lu – avec tant de plaisir – me reste comme une invite à tout lire. Et de nous citer des aphorismes tirés du Journal et qu’il sait par cœur. – le Théâtre – Je me souviens surtout du film Poil de Carotte avec Harry Baur. J’ai vu cela adolescent et j’en garde une vive impression.

Christian Yves préfère, lui aussi, le Journal. J’y remets le nez souvent. Je suis très perméable à ce genre d’humour, qui a sans doute évolué, mais qui reste « valable ». J’aime la rosserie de Jules Renard. J’aime sa concision dans les Histoires naturelles. Renard ne tartine pas ; c’est un écrivain d’art.

Frédérique Hébrard, romancière et  comédienne est très qualifiée pour nous donner son avis sur le Théâtre de Jules Renard : il a sans doute un peu vieilli, sauf peut-être Monsieur Vernet. La rosserie du Journal me demeure un peu étrangère, car je ne vois pas la vie sous ces couleurs-là. Plutôt sous celles des Histoires naturelles…

Georges Conchon, l’auteur de la corrida de la victoire, approuve les estocades de Jules Renard ! J’aime le Journal, rosserie comprise. Les Histoires naturelles m’ont bien amusé pendant l’occupation. Poil de Carotte ? Je prends

Christine de Rivoyre ne trouve pas que le Journal – où elle se replonge souvent – soit tellement dur. A côté du Journal de Gide, il est exquis […] le théâtre a quelques rides.

Alain Robbe-Grillet allait-il avoir quelque chose à nous dire sur Jules Renard ? Mais oui. Poil de Carotte est un souvenir déjà ancien. J’ai lu les Histoires naturelles à 22 ans. Je me reproche de ne pas avoir assez lu Renard, mais, pour moi il existe. Ses recherches de forme, sa volonté de concision trouvent en moi certains accords. Je dirais même qu’il y a une certaine attirance.

Bernard Pingaud est la franchise même : Je vais vous faire un aveu terrible, je ne connais pas Jules Renard. Mais je me hâte d’ajouter qu’il m’attire. C’est cela, j’ai envie de le lire […] Ah ! attendez : j’ai entendu des extraits du Journal à la Rose rouge ; ça m’avait bien plu.

Jeannine Worms fréquente plus volontiers, elle aussi, le Renard du Journal que celui du Théâtre : son scepticisme mordant, sa poésie exquise, ce mélange qui se résout en une fin bouleversante, après tant de cocasserie : dans les Histoires naturelles, son insensibilité apparente est celle d’un homme qui ne veut pas aider à l’émotion.

Bruno Gay-Lussac n’est pas comme Robbe-Grillet, porté vers Jules Renard : Je ne sens pas d’élan vers lui, encore que je me promette de revenir à son Journal, que j’ai lu voici peu de temps. J’ai trouvé cela agréable, quoique trop près du mot. Je goute peu la sensiblerie de Poil de Carotte. Mais j’aimerais vous répondre plus longuement sur un écrivain qui compte.

Françoise Mallet-Joris affiche avec flamme des sentiments « renardistes » : on lit et on relit le Journal comme s’il nous contait l’histoire contemporaine. Je l’ai découvert voici cinq ou six ans, alors que je lisais seulement des romans. De là est né mon goût pour les Journaux et Mémoires. J’aime la sensibilité de Poil de carotte, encore que, à mon sens, le Théâtre de Renard soit plus à lire qu’à jouer.

Jean-Loup Dabadie du haut de ses 21 ans, situe l’ « âge de lecture » de Jules Renard : il faut le lire très jeune ou très vieux. Les adultes, eux se méfient des sentiments simples, et c’est un travers. J’avais 17 ans quand j’ai lu Poil de Carotte en vacances. Il a atteint l’enfant en moi par la simplicité du cœur. Le Journal, lui aussi, me paraît être un livre de vacances. Son coté défendu, son charme acide.

Bertrand Poirot-Delpech a lu le Journal en khâgne, sur ses genoux, pendant les cours de grec. Il ne l’a pas beaucoup relu depuis : manque de temps. Pour le contact d’homme à homme qu’il permet, c’est le journal qui a ma préférence. S’il est surtout lu par des jeunes et des vieux, et non par des gens d’âge intermédiaire, c’est bon signe ! Si le théâtre a plus vieilli que le Journal c’est qu’il est tributaire de techniques qui évoluent plus vite. A ce propos, avez-vous lu le courrier des théâtres qui figure en appendice du Théâtre complet ? et on viendra nous dire que les critiques d’aujourd’hui sont méchants !!!

Philippe Sollers situe Jules Renard dans une curieuse solitude ; sans lui trouver du génie, on s’intéresse à lui parce qu’il s’est beaucoup intéressé à la forme, parce qu’il a pris conscience à son niveau, du drame de l’expression. Il n’échappe pas à une certaine sclérose, comme l’a noté Sartre dans Situation ! Est-ce pour avoir trop caché sa tendresse ? je me demande si le silence après des ouvrages de plus en plus courts, n’aurait pas été son dernier langage

Françoise Paturier qui se dit pessimiste gaie, a une très vive admiration pour Jules Renard : Le Journal est pour moi un excitant intellectuel. J’aime son abominable vérité, sa lucidité, sa concision. Quand je prends la plume, j’ai devant les yeux sa phrase modèle : « la poule pond » C’est pour moi un maître vivant : je le lis toujours en prenant des notes. Jules Renard, c’est un petit feuillage avec des racines de chêne.

Jean Thibaudeau instituteur et romancier, a le souvenir impressionniste : D’abord une émotion d’enfance (une page de Poil de Carotte dans un livre de classe), puis ce petit livre étonnant : Le Vigneron dans sa vigne. Puis l’envie de lire tout le reste.

Annette V. étudiante ès lettres (faculté Catholique) J’ai failli échouer à mon examen parce j’avais découvert le Journal de Jules Renard et dévorait tout mon temps.

Jean-Pierre G. étudiant ès lettres (Sorbonne) n’a lu que de brefs fragments du Journal, faute de temps : C’est terrible ! il faut avaler tout Balzac et attendre la fin des études pour déguster Jules Renard – comme un dessert !

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