André Billy : Le Figaro, 7 novembre 1961, à l’occasion de la pose d’une plaque commémorative sur sa maison rue du Rocher

Publié le par LAURENCE NOYER

André Billy : Le Figaro, 7 novembre 1961, à l’occasion de la pose d’une plaque commémorative sur sa maison rue du Rocher « C’est à droite en montant dans la du Rocher, au numéro 44, une maison d’aspect provincial, de trois étages, avec trois fenêtres de façade, - j’y ai pénétré à plusieurs reprises, en 1907 et 1908, pour rendre visite à l’auteur de Poil de Carotte. Tout jeune débutant, je venais lui prendre une interview à l’occasion de son élection chez les Goncourt et, de la part de Lucien Descaves, à qui je ne me rappelle pas pourquoi l’idée était venue de me charger de cette commission, lui renouveler la proposition d’écrire pour un éditeur anglais un chapitre sur les jardins qui devait être payé 500. « 500 francs, ça ne se refuse pas » me dit Renard. Ecrivit-il le chapitre ? je l’ignore. J’ai conservé de mes visites rue du Rocher une impression très particulière. J’étais timide, mais je suppose que Renard l’était encore plus que moi, car il m’intimida extraordinairement par ses silences et ses phrases à peine ébauchées. Je me souviens pourtant qu’il me dit quelques mots d’Octave Mirbeau et de son  effarante naïveté. La naïveté de Mirbeau s’appelait pour d’autres de la fraîcheur d’imagination. Aux yeux de Renard , qui se refusait à être dupe des grands sentiments comme des grands mots, il suffisait d’être quelque peu porté  à l’enthousiasme et à la déformation de la vérité, comme l’était Mirbeau, pour faire figure d’ingénu. Je le rencontrai un peu plus tard chez Anne Judic et Albert Dubrujeaud, dans la vallée du Cousin, près d’Avallon. Lui, sa femme et leur petit fox étaient venus de Chitry-les-Mines voir l’ancienne Divette et le vieux journaliste, à qui je servais à ce moment de secrétaire. Je revois Renard assis dans le jardin des nids, raide sur sa chaise, coiffé d’un panama trop petit et promenant autour de lui le regard perçant qui lui servait à enregistrer les plus menus détails du monde humain et animal. Est-ce à cause de son dégoût des sentiments et des phrases de convention qu’il est admis, toléré, sinon porté aux nues, par nos jeunes contemporains ? […] Jules Renard survit de façon un peu inespérée, il faut bien le dire. Il doit une bonne partie de cette chance à l’acte qu’il a tiré de Poil de Carotte. Sans Poil de Carotte, quelle serait sa situation aujourd’hui ? Aussi effacée sans doute que celle de Mirbeau qui pourtant a écrit Le Foyer et Les affaires sont les affaires, sans réussir à s’en faire des bouées de sauvetage. Seulement, voilà, Poil de Carotte a l’accent du vrai, alors que les pièces de Mirbeau sont outrées, comme ses romans. La vérité ? Elle semble à première vue à peindre, comme s’il n’y avait qu’à copier la vie. Le premier grimaud venu s’en croit capable, et c’est la chose la plus difficile du monde. »

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